Entretien : un réfugié palestinien en Europe
Par Daphné Girault | 2 novembre 2015Crise(s)
Nedal Ahmed est avocat. Il est Palestinien. En 2014, il a fui Gaza et est venu trouver refuge en France. Depuis fin 2014, il est en attente de la décision de l'OFPRA. Il a accepté un entretien avec notre journaliste afin de débattre de la question des réfugiés en Europe en illustrant son point de vue par son expérience personnelle.
Journaliste: Que signifie venir se réfugier en France ?
Nedal Ahmed : Tout d’abord, je n’ai pas choisi de venir en France. Un passeur m’a permis de venir jusqu’ici. C’est en fait la seule possibilité que j’avais pour fuir la guerre. Si j’avais eu le choix, je serais peut être allé
en Allemagne ou en Suède car j’y ai des amis. Au début, j’ai été aidé par la Croix rouge, puis par France Terre d’Asile après avoir obtenu l’autorisation de rester sur le territoire français. J’ai eu la chance d’avoir un lieu où me loger alors
que beaucoup d’autres ne pouvaient, faute de place, être logés dans un foyer. J’en connais qui ont dû dormir pendant un ou deux mois dans la rue ou à l’aéroport. En France, les conditions d’intégration sont difficiles : les points positifs
sont que des organisations nous prennent en charge.
Journaliste : Vous vivez en Europe depuis plus d’un an, votre vision de l’intégration a-t-elle changé ?
Nedal Ahmed : Oui, ma vision a beaucoup changé. Passés les premiers mois difficiles où j’ai fait beaucoup d’effort pour apprendre le français et m’intégrer, je me rends compte qu’on ne veut pas nous intégrer. Rien n’est fait pour
nous aider. Pas de vrai cours de langue, pas de formations, pas de rencontre avec des Français à part avec des fonctionnaires qui nous renvoient à notre statut d’étranger. Il n’y a pas de prise en compte humaine individuelle, on est un numéro.
Il faut comprendre que beaucoup de réfugiés du Moyen-Orient sont des gens diplômés ou des commerçants. Avant la guerre on avait une certaine considération sociale. Ce sont des gens ouverts, ayant des capacités intellectuelles et possédant un
capital. Ceux qui n’ont pas cette ouverture d’esprit ou les moyens ne veulent pas fuir en Europe, ils vont au Liban, en Jordanie ou en Turquie.
Journaliste : Certaines personnes pensent que l’Europe ne peut accueillir plus de réfugiés. Quel est votre avis ?
Nedal Ahmed : Ce n’est pas la place qui manque en Europe, c’est le manque de cœur. Et puis je ne comprends pas bien, on ne vient pas faire du tourisme, ce n’est pas par caprice qu’on vient ici. On cherche juste à vivre dignement
en paix. Les pays arabes dans la grande majorité sont en guerre ou ne respectent pas les droits de l’Homme, alors lorsqu’on a les moyens, on vient en Europe.
Journaliste: Que répondriez-vous à ceux qui perçoivent les réfugiés comme une potentielle menace pour la stabilité polico-économique ainsi que pour l’identité culturelle de l’Europe ?
Nedal Ahmed : Je leur dirais qu’ils manquent gravement d’humanité. On n’est pas sur la même échelle : la vie humaine n’a pas à être comparée à un travail. Les médias ont tendance à relayer l’idée qu’on va prendre le travail
des gens. Quant à l’idée qu’un musulman va forcément venir avec trois femmes et 12 enfants, c’est un préjugé imbécile. Chez nous c’est permis mais extrêmement rare. Et puis nous venons de lieux avec une histoire incroyable. On n’a pas toujours
été en guerre ! Ici beaucoup de personnes souffrent d’inégalité, d’indifférence et d’une matérialité superficielle omniprésente. Les réfugiés du Moyen-Orient, qu’ils soient croyants ou non, peuvent apporter une certaine spiritualité, une
générosité, une solidarité et du respect. La possession matérielle en Europe est très importante. C’est bien mais cela crée beaucoup de frustration, il y a des valeurs plus nobles dont les gens manquent. Ici encore, les médias jouent un rôle
important. J’entends parfois « vous n’êtes pas un arabe comme les autres ». Je crois qu’ils s’aperçoivent simplement que l’on ne correspond pas à l’image transmise par les médias. Alors au lieu de remettre en question la perception
commune de l’ « Arabe », ils me déclarent différent.
Journaliste: Merci pour votre témoignage important. Je vous souhaite plutôt un avenir différent !