Nourrir 9 milliards de personnes en 2050 : quelques pistes pour l’avenir
par Samuel Rebulard, 2016
Avec l'augmentation de la population mondiale, la production alimentaire devra augmenter de 30 à 100 % d'ici 2050. Cette augmentation passera principalement par une intensification de l'agriculture, (voir l'article « Nourrir 9 milliards de personnes en 2050 - quelques éléments du problème » du même auteur).
Une agriculture à la fois intensive et écologique est-elle envisageable et pourra-t-elle nourrir l'humanité ?
La destruction des environnements naturels et agricoles, la dépendance aux fournisseurs, la disponibilité des intrants, les coûts d'équipement, le plafonnement des rendements, l'épuisement de certaines ressources (sol, eau, phosphates...) sont autant de facteurs qui font de l'agriculture intensive conventionnelle un assez mauvais candidat pour l'augmentation de la production alimentaire à venir. En particulier pour les pays en voie de développement qui seront les principaux moteurs de cette augmentation.
L'agroécologie ou agriculture écologique et intensive
L'agroécologie est un ensemble de pratiques ayant l'ambition de produire beaucoup tout en étant écologiquement viable.
En agroécologie, il s'agit de passer d’une agriculture basée sur une imitation de l’industrie (plus d'intrants donne plus de produits selon un mode de production linéaire) à une imitation de la nature. On améliore ainsi la durabilité des agrosystèmes, gérés comme des écosystèmes agricoles caractérisés par leur biodiversité, leurs interactions, leurs flux de matière et d'énergie.
Selon plusieurs rapports des organisations de l'ONU (FAO, PNUE, Conseil des droits de l'Homme...), le développement des pratiques agroécologiques remplit les trois objectifs que recherche toute agriculture moderne : accroître la sécurité alimentaire, améliorer les revenus dans les zones rurales et préserver les ressources génétiques et environnementales. Ce dernier point est indispensable pour assurer durablement la santé des personnes et la capacité de production des agrosystèmes.
Concrètement, on retrouve en agroécologie beaucoup de pratiques courantes en agriculture biologique ou agriculture de conservation. Néanmoins, l'agroécologie ne s'interdit théoriquement pas un recours ponctuel à des intrants chimiques. Les piliers de l'agroécologie sont l'utilisation et la préservation des ressources en nutriments et en eau d'origine locale, la diversification des espèces dans le temps et l'espace, la gestion des interactions entre espèces (sauvages et/ou cultivées), la prise en compte de la productivité globale de l'agroécosystème et non pas de chaque espèce individuellement.
2.1 Préserver les ressources agricoles pour garantir leur pérennité
La préservation des deux ressources agricoles principales que sont les sols et l'eau est une priorité de l'agroécologie.
Le travail réduit du sol (labour moins fréquent voir abandonné) permet à ce dernier de se restructurer, et à la faune et la flore du sol de s'y développer. Le travail d'aération, d'homogénéisation et de mise à disposition des nutriments est alors réalisé notamment par les lombrics. Des prédateurs généralistes comme les araignées et les carabes limitent la prolifération des insectes ravageurs. En revanche, l'absence de labour peut être à l'origine du développement des adventices. L'agriculteur peut limiter leur développement en laissant en permanence une couverture végétale sur le sol, par exemple des résidus végétaux restant d'anciennes cultures qui forment ainsi une litière. Le semis de la prochaine culture peut alors s'effectuer sous cette litière d'où le nom de « semis sous couvert ».
La couverture du sol va également limiter son érosion, garder l'humidité du sol et favoriser l'infiltration locale de l'eau de pluie.
En Afrique, on plante aussi sur le bord des parcelles une espèce d'acacia Faidherbia albida, qui a l'avantage de ne pas faire d'ombre aux cultures car il perd ses feuilles quand les cultures sont en place, à la saison des pluies. Comme tous les arbres son système racinaire va pouvoir aller chercher des éléments minéraux plus profondément que la plupart des plantes cultivées. Par ailleurs, comme toutes les plantes de la grande famille des légumineuses il fixe l'azote de l'air (78% de l'atmosphère) pour faire sa propre biomasse. Lorsqu'il perd ses feuilles celles-ci contiennent les éléments minéraux prélevés et vont ainsi servir d'engrais organique. En Zambie, le rendement du maïs cultivé sans engrais à proximité de ces arbres a atteint en moyenne 4,1 t/ha, contre 1,3 t/ha pour du maïs cultivé non loin de là, mais au-delà de la zone plantée d’arbres (cet exemple provient du rapport du Conseil des droits de l'Homme de l'ONU du 20 décembre 2010 sur l'agroécologie, voir bibliographie).
Une autre source naturelle d'engrais est bien sûr l'élevage. Dans les pays en voie de développement on encourage l’intégration du bétail dans les systèmes de production agricole. En plus d'apporter un complément nutritionnel en protéine pour les consommateurs locaux, les déjections servent comme engrais organiques. Les faibles coûts de transport et de production rendent cet engrais plus intéressant que les engrais chimiques. Il contribue lui aussi à améliorer la vie dans le sol, contrairement aux engrais chimiques.
L'eau, dans les milieux désertiques, est la clé de la production alimentaire. Elle provient souvent de puits creusés dans des nappes phréatiques qui ne se renouvellent plus ou moins rarement. Ainsi en Tunisie, l'usage traditionnel de l'irrigation dans les oasis se fait dans des canaux à ciel ouvert ou des conduites en terre cuite qui laisse évaporer une partie importante de l'eau. Un programme récent a favorisé l'installation de conduites étanches et d'irrigation localisée (goutte à goutte). Les pertes ont ainsi diminuée de 30%. Les économies réalisées ont encouragé les agriculteurs à diversifier et à augmenter leur production (surface cultivée en légume multipliée par 8 et surface cultivée pour le fourrage multipliée par 4).
L'eau de pluie peut être mal exploitée si elle ruisselle avant d'avant d'avoir servi aux cultures. En Afrique occidentale, l'installation de barrières de pierre posées autour des champs ralentit le ruissellement de l'eau et l'érosion des sols pendant la saison des pluies. La capacité de rétention de l’eau est multipliée de 5 à 10 fois. L'infiltration de l'eau contribue à recharger les nappes phréatiques. Enfin, l'humidité du sol augmente la production de biomasse de 10 à 15 fois (cet exemple provient du rapport du Conseil des droits de l'Homme de l'ONU du 20 décembre 2010 sur l'agroécologie, voir bibliographie).
Samuel Rebulard http://edu.mnhn.fr/mod/page/view.phpid=1430#Avantages_sur_la_qualite_nutritionnelle