Comment les jeunes occupent-ils leur temps libre ?
par Delphine Bancaud, 2016
Certains d’eux arpenteront sûrement les allées du Salon du running ce samedi ou seront au départ du Marathon de Paris ce dimanche. Les accros du sport ou ceux qui vouent un culte excessif à leur corps sont aussi au cœur d’un ouvrage, Le syndrome du bien être*, qui sortira en librairie le 15 avril.
Car « aujourd’hui s’occuper de son bien-être est devenu une obligation morale qui s’impose à chacun de nous », estiment les deux auteurs, deux enseignants-chercheurs européens. Et selon eux le bien-être « s’est transformé en idéologie ». D’où l’essor des fanatiques de la santé, en quête du régime alimentaire idéal, de la musculature parfaite. Ces derniers observent une discipline de vie stricte, en s’imposant de longues heures de sport plusieurs fois par semaine, en se couchant tous les soirs à la même heure, en s’auto-surveillant en permanence.
Pour certains d’eux, « bien se nourrir est devenu une activité qui confine à la paranoïa. Exit le plaisir des papilles. Manger équilibré fait office de recette miracle », constatent les auteurs du syndrome du bien être. Ils vérifient la teneur calorique des aliments sur une application mobile, s’inscrivent sur des sites de régime, prennent des coachent minceurs, lisent avec avidité des guides sur l’alimentation idéale, vouent un culte aux diététiciens…
Un phénomène auquel est confronté fréquemment le docteur Aymeric Petit, psychiatre et addictologue, qui reçoit dans son cabinet des personnes obsédées par leur hygiène de vie. « Ces pratiques deviennent un problème lorsqu’il y a perte de contrôle et de liberté. Un de mes patients faisait par exemple, 35 heures de sport par semaine. Il annulait des sorties familiales, ne se rendait pas à des réunions professionnelles », témoigne-t-il.
Des « adeptes de la quantification de soi », comme les appellent les auteurs du Syndrome du bien être, qui sont le plus souvent des femmes. « Ce sont des personnes souvent anxieuses ou chercheuses de sensations fortes, qui veulent restaurer une image d’elles-mêmes défaillante, en maîtrisant leur corps. Ou qui tentent de refréner par leurs efforts, des pensées douloureuses. Une sorte d’automédication en somme », analyse le docteur Aymeric Petit.
Le monde du travail complice ?
Un diktat du bien-être conditionné aussi par la société « qui demande aux gens de se conformer à des standards et véhicule le culte de la performance », observe le psychiatre. « Et paradoxalement, les messages de santé publique, sur l’importance d’adopter une alimentation équilibrée ou de pratiquer une activité physique, peuvent avoir une résonance négative chez certaines personnes qui basculent dans des conduites excessives », poursuit-il.
Dans Le syndrome du bien être, les auteurs pointent aussi la responsabilité des entreprises dans cette dérive. « Pour atteindre leur pic de performance, les athlètes d’entreprise doivent avoir une hygiène de vie irréprochable », écrivent-ils, en relayant les initiatives de certains employeurs, par exemple pour développer la pratique sportive de leurs collaborateurs : 70 % des 200 premières entreprises américaines possèdent ainsi des salles de fitness dans leurs locaux. Et la participation des salariés à des activités sportives y est souvent obligatoire pour bénéficier d’une assurance maladie. Aux Etats-Unis, les réunions où les participants doivent marcher se développent aussi. « Il s’agit d’imposer en filigrane une nouvelle conception de l’employé modèle, qui porte une attention soutenue à sa condition physique et à l’accroissement de sa productivité », soutiennent les auteurs. Et même si en France, on n'en est pas encore là, la discrimination subie par les salariés obèses, par exemple, et la forte concurrence existant entre les demandeurs d’emploi pour décrocher un poste poussent certains actifs à croire qu’ils doivent se doter d’une apparence « parfaite ».
Ce surinvestissement du corps a parfois des conséquences négatives. « Ces pratiques nous font vivre dans l’angoisse permanente en nous rendant responsables de tous nos choix de vie, elles renforcent notre sentiment de culpabilité dès que nous n’arrivons pas à tenir nos engagements ou à atteindre nos objectifs », soulignent les enseignants-chercheurs. « La tyrannie du bien-être ne fait pas qu’aggraver notre malaise intérieur, elle nous exhorte aussi à blâmer celles et ceux qui refusent de se mettre au diapason », renchérissent-ils. Ces pratiques excessives « entraînent des dérives narcissiques qui nous amènent à nous replier sur nous-même et à nous préoccuper que de notre corps », poursuivent-ils. Chez les accros du sport, les conséquences peuvent aussi être physiques, comme le constate le docteur Aymeric Petit : « Certains présentent des blessures musculaires, des lésions tendineuses, des fractures osseuses. Sans oublier les problèmes psychologiques qui surviennent souvent », souligne-t-il.
L’obsession de son corps et l’emploi du temps contraint qu’elle engendre, génère aussi à une altération des relations personnelles et professionnelles :
« Certains patients viennent me consulter à la suite de conflits avec leur conjoint qui ne supporte plus de ce mode de vie ritualisé », indique-t-il.
Souvent dans le déni, ces fanatiques de la santé idéale se tournent rarement vers un spécialiste. « Lorsqu’ils le font, les thérapies comportementalistes, via lesquelles on essaye de corriger les pensées du patient par rapport à son corps et où l’on travaille sur les émotions, sont efficaces », indique le docteur Aymeric Petit. Aux autres, les auteurs du syndrome du bien être lancent un appel : « il serait peut-être grand temps que nous arrêtions d’écouter maladivement notre corps, d’être préoccupés par notre santé et notre bonheur et de vouloir sans cesse repousser nos limites », indiquent-ils.
« Nous aurions tout à gagner à nous ouvrir et à penser un peu plus à autrui », concluent-ils.
http://www.20minutes.fr/societe/1817935-20160401-quand-culte-corps-tourne-obsession, 2016
La dictature de la beauté : comment l’apparence régit nos vies?
par Sophie Gourion, 2011
Un amour maternel… pas si aveugle que ça !
Dès sa naissance, le nourrisson est soumis malgré lui aux diktats de la beauté. Et le regard maternel qu’on imagine instinctivement aveugle et bienveillant ne l’est pas autant qu’on le croit ! Le Time magazine a révélé que les parents ne seraient pas du tout insensibles à la laideur de leur enfant. Pire encore, l'amour "inconditionnel" de la mère serait directement lié à la beauté de l'enfant. Plus un bébé est beau à la naissance, plus l'amour maternel serait puissant.
Mais cela s'applique aussi à l'inverse. Plus l'enfant est laid, plus l'attachement serait difficile. Jean-François Amadieu explique: "On ne peut pas dire qu’une mère ou un père préférera un enfant plus beau que ses frères et sœurs. En revanche, les études ont prouvé que les activités seront différentes selon que l’enfant est beau ou laid. Par exemple, une mère jouera beaucoup avec son nourrisson s’il est beau, tandis qu’elle focalisera sur les apprentissages s’il est disgracieux. Il est d’ailleurs prouvé que ces enfants réussiront mieux à l’école que la moyenne".
Une discrimination qui s’opère dès la cour de récréation
L’égalité des chances dans le domaine scolaire est bien illusoire. Outre l’origine sociale, la beauté joue un rôle prépondérant sur le parcours scolaire d’un enfant et malgré eux, les professeurs participent à la reproduction du phénomène.
L’expérience suivante est éloquente: Prenez une pile de copies et faites-la corriger par un groupe de professeurs. Relevez les notes puis proposez les mêmes copies à un autre groupe d’enseignants, en y adjoignant la photographie des étudiant(e)s. Résultat: les physiques avenants améliorent leur note, les physiques ingrats perdent des points (8). À l’oral, le phénomène est évidemment encore plus marqué. L’apparence joue en faveur des plus beaux sans que les enseignants en aient conscience, bien sûr.
En outre, il existe un cruel amalgame entre "beau" et "bon". Des chercheurs américains ont ainsi demandé à des adultes de juger des enfants de 7 ans accusés d’avoir blessé un camarade avec une boule de neige. Dans un premier temps, les personnes interrogées se sont montrées beaucoup plus tolérantes envers les enfants les plus beaux : la faute était jugée plus légèrement lorsque le fautif était séduisant. Dans un second temps, elles se sont dites convaincues que les enfants beaux récidiveraient moins que les autres.
La gueule de l’emploi
Cette dictature de l’apparence se retrouve également dans le domaine professionnel, où il existe de fait une prime à la beauté: non seulement les beaux ont davantage de chances d'être recrutés, mais ils sont également plus souvent promus, ont les meilleures primes et les meilleurs salaires.
Une recherche publiée aux Etats-Unis a démontré que les hommes très laids gagnent 9% de moins que la moyenne à poste équivalent. Tandis que leurs collègues très beaux récoltent 5% de plus que la moyenne. C'est la même chose à peu près chez les femmes. On estime qu'une belle apparence "vaut" aux Etats-Unis une année et demie d'études supérieures !
Vers une évolution des canons de la beauté ?
En dépit de ces faits accablants, on ne peut nier qu’il existe un récent changement de mentalité en ce qui concerne les stéréotypes de la beauté : la campagne de publicité de Dove mettant en vedette une femme âgée et une femme ronde, le succès de la blogueuse pulpeuse Big Beauty ou encore le projet de loi relatif aux photos retouchées en sont autant d’indicateurs. Simple effet de mode ou changement profond des mentalités ? Le temps nous le dira...
Sophie Gourion, http://leplus.nouvelobs.com/contribution/2305-comment-l-apparence-regit-nos-vies.html, 2011